Le Japon fascine par sa culture unique, où la politesse et les courbettes occupent une place centrale. Ces gestes codifiés, connus sous le nom d’ojigi (お辞儀), constituent bien plus qu’un simple salut. Ils incarnent en effet toute une philosophie du respect et des hiérarchies sociales. Pour comprendre véritablement l’âme japonaise, il faut saisir la subtilité de ces inclinaisons qui structurent quotidiennement les interactions sociales du pays du Soleil-Levant.
L’histoire des courbettes japonaises
Historiquement, l’ojigi était étroitement lié à la classe des samouraïs. Durant la période Kamakura (1185-1333), l’émergence de cette classe guerrière a donné lieu à la rédaction de nombreux manuels détaillant l’étiquette du guerrier, comprenant des instructions précises sur les manières appropriées de s’incliner. Le terme ojigi dérive d’un homonyme signifiant originellement « le moment opportun pour faire quelque chose » et n’a commencé à désigner spécifiquement l’acte de s’incliner qu’à la fin de la période Edo (1603-1868), lorsque l’étiquette des samouraïs s’est répandue parmi la population générale.
Dans le Japon contemporain, cette pratique s’est imposée comme un élément fondamental de l’étiquette sociale, reflétant et représentant la culture japonaise dans son ensemble.
Les différents types de courbettes

La société japonaise reconnaît plusieurs degrés d’inclinaison, chacun correspondant à une situation sociale précise :
La courbette légère (Eshaku – 会釈)
« L’eshaku est une courbette simple et décontractée. Il suffit d’incliner le torse d’environ 15°. Elle est utilisée pour saluer des collègues de même statut ou dans un environnement décontracté. Les gens exécutent généralement l’eshaku en un court instant, mais sans précipitation », nous explique un spécialiste des traditions japonaises.
La courbette moyenne (Keirei – 敬礼)
La courbette moyenne (keirei) est une inclinaison plus formelle, variant entre 30° et 45°. Elle est généralement utilisée dans les milieux d’affaires, les cérémonies, ou pour témoigner du respect aux supérieurs ou aux aînés. Elle marque une déférence plus prononcée et s’emploie fréquemment dans les contextes professionnels.
La courbette profonde (Saikeirei – 最敬礼)
La courbette profonde (Saikeirei – 最敬礼) est « généralement réservée aux occasions les plus solennelles, telles que les rites bouddhistes, une prière dans un sanctuaire ou pour présenter des excuses profondes ». Cette inclinaison à 45° témoigne d’un respect absolu envers l’interlocuteur.
L’étiquette des courbettes japonaises
Les règles entourant l’exécution correcte d’une courbette sont multiples et précises. « Généralement, la courbette s’effectue avec les bras alignés le long du corps (chez les hommes) ou les mains jointes devant (chez les femmes). » Le regard doit suivre l’inclinaison du corps et ne doit jamais fixer l’interlocuteur pendant le salut.
« Ne fixez pas le regard de la personne en vous penchant, mais baissez les yeux. Les hommes gardent les bras le long du corps tandis que les femmes croisent les mains devant elles », précise un guide du savoir-vivre japonais.
La durée et la profondeur de la courbette varient en fonction du statut social respectif des personnes qui interagissent. « Le degré d’inclinaison, la durée et le nombre de courbettes dépendent en partie de l’intensité que l’on veut ou doit transmettre, mais aussi et surtout de son propre niveau hiérarchique par rapport à celui de l’interlocuteur. »
Les situations quotidiennes impliquant des courbettes
Les courbettes accompagnent de nombreuses situations de la vie courante au Japon :
« Au Japon, le salut consiste à faire une courbette en se penchant plus ou moins bas selon le degré de déférence que l’on veut marquer envers la personne saluée. » Cette pratique s’observe partout, des restaurants aux transports publics.
Un exemple frappant : « Je vous remercie d’avoir utilisé nos services et je vous prie de bien vouloir me présenter vos billets. À l’entrée du wagon, le contrôleur a ôté sa casquette, prononcé ces quelques mots, puis s’est incliné avant de commencer son travail. […] Une fois la vérification terminée, une nouvelle courbette est effectuée avant de tourner les talons. » Cette scène illustre à la perfection le rôle de la courbette dans le service au Japon.
Les erreurs à éviter
Pour les visiteurs étrangers, certaines méprises peuvent survenir lors de l’exécution d’une courbette :
Il est considéré comme impoli de regarder son interlocuteur dans les yeux pendant une courbette. Le regard doit suivre l’inclinaison du haut du corps. Cette règle fondamentale traduit l’humilité requise pour ce geste de respect.
Parmi les autres erreurs courantes, citons « ne pas faire une courbette assez profonde dans un contexte formel, qui peut être perçu comme un manque de respect ». À l’inverse, une courbette trop légère peut être perçue comme un signe de désintérêt ou de manque de respect.
Les spécialistes notent également qu’il faut éviter de ne pas incliner suffisamment dans un contexte formel, car cela pourrait être interprété comme un manque de considération.
La place des courbettes dans le Japon moderne
Malgré la modernisation et l’occidentalisation apparente des comportements, les courbettes demeurent omniprésentes dans la société japonaise contemporaine.
« Société formaliste, le Japon a l’un des codes de politesse parmi les plus élaborés, en dépit de l’occidentalisation apparente des comportements. Il existe une étiquette pour presque toutes les situations de la vie quotidienne, en fonction du rang, de l’âge et du sexe ».
« Dans le Japon moderne, s’incliner est une partie fondamentale de l’étiquette sociale, dérivée et représentative de la culture japonaise, mettant l’accent sur le respect des rangs sociaux. Des salutations quotidiennes aux réunions d’affaires et aux funérailles, l’ojigi est omniprésent dans la société japonaise ».
Cette pratique est si profondément ancrée que de nombreuses entreprises japonaises forment spécifiquement leurs employés à la maîtrise des courbettes dans un contexte professionnel. « La capacité à s’incliner correctement et avec élégance est largement considérée comme l’une des qualités définissant l’âge adulte ».
L’universalité du respect à travers les cultures
La courbette japonaise transcende le simple geste physique pour devenir un véritable langage non verbal. Faire la courbette au Japon vise à témoigner du respect à la personne ou à la chose à laquelle on fait la courbette. La hiérarchisation sociale est un aspect essentiel de la culture japonaise.
« La signification d’une courbette dépend entièrement de la situation, de la profondeur et de la durée », rappellent les spécialistes des traditions nippones.
Pour le visiteur occidental, comprendre ces nuances permet d’appréhender la richesse d’une culture où le respect mutuel demeure une valeur cardinale, exprimée quotidiennement à travers ces gestes codifiés et profondément significatifs.
La beauté des courbettes japonaises réside finalement dans leur capacité à exprimer, sans paroles, toute la complexité des relations humaines et le profond respect que les Japonais accordent à l’harmonie sociale.